“Oh, elle a un beau visage, mais elle serait encore plus belle, si…”

“Oh, elle a un beau visage, mais elle serait encore plus belle, si…”

Sans doute la phrase la plus traumatisante de mon enfance. Tout ce qui commence en ayant un faux air de compliment, et qui se finit en eau de boudin. C’est le cas de le dire. Le boudin c’était moi. Les conseils inappropriés des quasi-inconnus croisés au choix au rayon biscuit du supermarché, ou dans la rue, au café, avec maman, sur ce que je devrais manger ou non.

Ca a commencé très tôt, et les oncles et tantes ne m’ont jamais épargnés, un cocon d’anti-tendresse, comme si ma position d’enfant m’avait subitement bloqué l’”ouïe”.

Je jouais à la poupée, je dessinais des princesse, je me déguisais, et je sentais le regard oppressant de ma tante faux sosie raté de Claire Chazal, me reluquer de haut en bas, définissant à la louche de combien de kilos je m’étais délestée ou au contraire si j’avais pris dans le cul, à 7 ans.  Elle me comparait à ma cousine si “fine” et aussi brune que j’étais blanche et jouflue.

Autant dire que les “caleçons” ( tu sais l’ancêtre du legging, des années 80-90 ) ne m’ont pas épargnés stylistiquement parlant. Et alors on me servait moins des frites que les parents tout mince, étaient joyeusement allé chercher à la baraque à frites pour manger chez mamie.

Le physique comme seul argument de réussite sociale recevable dans la vie? Les actrices jugées sur leur physique, sur leur cul, jamais sur leur jeux, une opinion de ce qui se fait, se porte, ou non: la vision étroite de provinciaux étouffés par leur jalousie devant leur télévision.

A l’école, j’avais des pommes au goûter, j’étais l’une des seules, et des réflexions quand je disais souffrir d’un genou en cours de sport, c’est d’ailleurs après plusieurs entorses, plusieurs atèles, des dizaines d’heures de kiné, et plusieurs spécialistes, que le “sur-poids” et ma pseudo-fainéantise ne sont pas apparu comme la cause de ce mal.

 

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Pourtant j’ai fait 6 ans de Handball, de gymnastique et j’adorais ça, vraiment. Mais on avait la mémoire sélective puisque j’étais soit disant « grosse ».

Je me rappelle le traumatisme de la balance. Quand ma mère, diabolique, me forçait à me mettre en culotte dans la salle de bain, et me pesait devant tout le monde, en criant bien fort dans l’appartement mon poids, comme si j’avais fait quelque chose de mal, et que je ne méritais rien. Et je pleurais.

D’ailleurs elle me prévenait “les garçons ils n’aiment pas les grosses, tu veux pas finir toute seule, hein?” Quand elle était persuadé que je mangeais dans son dos, alors que je le clame haut et fort toute adulte que je suis, que NON, elle devenait traqueuse, vicieuse, elle fouillait ma chambre, me punissait, même sans preuve.

J’ai peut être eu à force de savoir que le gâteau au chocolat ne serait pas pour moi, des envies de sucrés impulsive, au cours de ma pré-adolescence quand enfin on me laissait tranquille, mais ce furent les conséquences de la privation, et aujourd’hui ca n’existe plus.

Leurs privations, leurs reflexions, m’ont amenés à me définir en fonction de ce que j’allais avoir le droit de manger, et en fonction de ce qu’il voyait chez moi. Je ne me rappelle pas de repas d’enfant heureuse, sans pression, chez elle. On découvrait de nouveaux régimes qu’on m’imposait : la soupe au choux, le Dukan, l’hypocalorique, les compléments alimentaire… et du haut de son mètre 70, de ses 56 kilos, et de son 90C, ma mère continuait à se trouver grosse, à pleurer le “plis” de son ventre, qu’elle n’avait pas “avant”, à tester toutes les crèmes anti-cellulite, et à me regarder comme un monstre.

A 15 ans, j’ai commencé à plaire. Je ne me souviens pas exactement comment j’étais foutue, je crois que je faisais un 42, je me rappelle pas avoir fait une plus petite taille une fois adolescente, et que je mesurais déjà bien 1M70. J’ai roulé des pelles au bord de la piscine en Tunisie, avec beaucoup trop de garçons mignon.

Tout ses arguments ne tenaient plus, j’étais en maillot de bain, et je ne les avais pas effrayé. J’avais été moi-même. Je n’étais plus la meilleure amie de la plus belle fille du collège dont tout les garçons étaient amoureux. Je n’étais plus seulement ça. On riait, on dansait, on parlait de musique, beaucoup.

Je me suis émancipée, et je me suis construite autrement.

Les réflexions de la famille de maman continuaient, mais j’ai bientôt cessé de les voir, la distance géographique facilitait tout ça.

Je ne voyais malheureusement plus mon père et cette partie de cette famille que j’aimais et qui me laissait tranquille sur ces sujets, d’ailleurs quand je rentrais de weekend, j’avais le droit à des interrogatoires par maman, dont celui du menu, on me pesait, et on disait qu’ils étaient “irresponsable”. Irresponsable de me laisser être une enfant?

J’ai cherché à me libérer autrement. J’ai découvert la photographie, et j’ai commencé à alimenter un blog d’adolescente, où je me mettais en scène. Tandis que toujours on m’avait voulu les cheveux lisse, la peau bronzé et svelte, j’ai découvert une multitude de physique que j’avais envie de shooter, et j’ai posé moi aussi.

Ce que je croyais des défauts sont devenu des singularités.

J’ai compris que des hommes aimaient cette peau toute blanche, et les hanches épaisses qui l’accompagnaient. En tout cas, les hommes qui m’aimaient pour tout ce que l’on partagé, ne m’ont jamais demandé de changer. Je les remercie pour ça. Et en même temps, dois-je les remercier de ne pas porter de jugement, et d’aimer un ensemble, dans un corps?

Je me suis alimentée d’images, de musique, de livres, j’ai commencé à m’enivrer des plaisirs de la vie. J’ai vu des copines minces ne pas s’aimer, je leur disais qu’elles étaient belles, que tout ça étaient dans leurs têtes, et que personne n’avait le droit de leur dire comment être.

Bien des années plus tard, à 26 ans et des poussières, et avec un 46, j’ai envie de vous dire de vous aimer dans votre corps, dans votre coeur, j’ai envie de montrer que tout ces corps racontent qui vous êtes. Je suis fascinée par les poils, par les plis, par les cicatrices qui racontent des choses. Aimez-vous, encouragez-vous à vous réaliser, soyez libre, de l’amour de l’amour de l’amour, y’en a jamais assez.

Le mien sera toujours large, blanc, plantureux, et je porte les cicatrices de ce passé sur mes vergetures blanchies par le temps.

 Bien des années plus tard, je continue de poser et aujourd’hui je propose des looks un peu futile, car dans mon adolescence, j’ai beaucoup manqué d’exemple de femmes rondes qui s’aimaient et faisaient des choses, s’habillaient comme elle voulait, sans se soucier du regard oppressant des gens.

Je ne veux pas me contenter d’être un physique et je ne pourrais jamais n’être que ça, j’ai toujours besoin d’écrire, de chanter, de photographier d’autres gens, d’avoir des projets, et je n’exclue pas du tout les minces d’ailleurs dans ces projets. Je trouve que l’on manque cruellement de diversité mais pas de préjugé malheureusement. Je veux voir des rondes sexy à la TV, sans que ce ne soit une revendication, juste un état de fait.

Si des gens m’ont jugés, m’ont trouvé « narcissique » parce que je suis « différente » et que je fais comme si je ne l’étais pas, alors j’espère qu’ils auront « compris » des choses. Je suis comme vous, vous êtes comme moi, et je n’ai pas l’intention de me cacher, ni d’avoir honte. 

Vous likez des photos de mannequins, des selfies de gens minces, pourquoi ne les jugez-vous pas, elles?  Parce qu’elles sont politiquement correcte? Pourquoi une grosse n’a-t-elle pas le droit de poser?

J’aime les gens, les visages, leurs regards, raconter des histoires. J’ai bien conscience que je ne sauve pas le monde, mais la petite fille complexée que j’étais aurait vraiment aimé que ces femmes existent dans le paysage audio-visuel, pour donner tords à tout ces adultes sans tendresse ni bienveillance.

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